mercredi 17 juin 2015

Plans de mélange : Quelle stratégie adopter ?

La réussite d'un plan d'expériences est liée d'une part à l'association de différentes compétences et d'autre part au choix de la meilleure stratégie expérimentale à adopter pour espérer atteindre l'objectif fixé.

Dans les problèmes de formulation, il y a naturellement la compétence du chimiste qui propose différentes natures de constituants à mélanger en associant le plus souvent des contraintes aux plages de variation des proportions de ces constituants. Les proportions des constituants représentent les variables internes du plan de mélange. Mais même la meilleure "recette" n'a pas grande valeur si l'on ne dispose d'une expertise quant au mélangeage, ... qui traduit comme son nom l'indique l'action de mélanger. C'est ainsi que le technologue joue un rôle important pour procéder à des choix judicieux et à des réglages pertinents de variables dites variables externes, comme par exemple les différentes composantes d'un cycle de malaxage ou d'un cycle de cuisson. Il faut faire également appel à des compétences d'ordre métrologique pour caractériser les produits fabriqués, aussi bien à court terme qu'à long terme, avec des mesures physiques, mais aussi des mesures sensorielles. Mettre en œuvre un plan de mélange nécessite donc souvent un dialogue important entre différents acteurs.

Naturellement, les éléments de réponse aux questions que l'on se pose proviendront de la mise en œuvre d'une campagne expérimentale avec deux questions qui reviennent sempiternellement pour chaque nouvelle étude :
  • Combien d'expériences doit-on faire ?
  • Quelles expériences doit-on faire ?
Je serais tenté de répondre à la première question en adaptant à mon propos une phrase du regretté humoriste Fernand Raynaud (1926-1973) que l'on interrogeait sur le temps de refroidissement du fût du canon. S'il faut un certain temps dans le problème précité d'artillerie, il faut un certain nombre d'expériences dans un plan d'expériences !

Conscient que cette réponse évasive, mais pourtant vraie, ne peut satisfaire aucun examinateur et encore moins aucun industriel, on doit se résoudre à faire appel à une compétence supplémentaire, celle de la méthodologie expérimentale, souvent redoutée dans nos contrées parce qu'elle est associée à celle du statisticien, homme terrifiant qui ne sait parler qu'avec des écarts-types !

N'étant pas statisticien, je vais essayer de vous dresser une cartographie des approches expérimentales disponibles, à la fois sans parti pris et sans avoir recours à l'écart-type !

Il faut tout d'abord distinguer :

  • Les approches directes qui ne nécessitent pas l'estimation d'un modèle que ce soit pour chercher un optimum ou représenter l'effet des variations des proportions des constituants. Il s'agit de méthodes moins diffusées que les plans d'expériences. Ces méthodes, basées essentiellement sur du bon sens géométrique, peuvent être regroupées sous les locutions anglaises Sequential Simplex Optimization dans un objectif d'optimisation et Simplex Mixture Screening Design dans une problématique d'estimation et de comparaison des effets des variations des proportions des constituants. Ces approches feront l'objet d'articles spécifiques dans ce blog.

  • Les approches indirectes nécessitent d'abord l'estimation d'un modèle que l'on exploite ensuite pour répondre aux questions posées. La forme générique du modèle étant postulée avant la construction de la matrice d'expériences, il devient possible de calculer le nombre de paramètres de ce modèle, paramètres qui deviendront des coefficients lors de leur estimation. Ce nombre dépend naturellement du nombre de constituants et de variables externes mis en jeu lors de la campagne expérimentale. C'est ainsi que l'on peut répondre à la première question posée sous la forme d'une condition nécessaire : il faut au moins faire autant d'expériences que de coefficients à estimer. La condition suffisante qui fixe le nombre d'expériences à réaliser est liée à la recherche d'une incertitude "acceptable" qui affecte l'estimation des paramètres du modèle. Pour un modèle donné, cette condition dépend essentiellement de la géométrie du domaine expérimental.

Les approches indirectes ont donné lieu à une classification en 6 branches dans une publication proposée en 1994 par Gregory Piepel et John Cornell :

  • Component proportions : les variations de la réponse sont modélisées uniquement à partir des variations des proportions des constituants préalablement choisis.

  • Mixture amount : les variations de la réponse sont modélisées non seulement à partir des variations des proportions des constituants préalablement choisis mais aussi en fonction de la quantité de mélange utilisée.

  • Mixture Process variable : les variations de la réponse sont modélisées non seulement à partir des proportions des constituants préalablement choisis mais aussi en fonction des variations des facteurs externes à la formulation traduisant la mise en oeuvre des variables du procédé.

  • Slack variable : les variations de la réponse sont modélisées uniquement à partir des variations de (q-1) constituants minoritaires préalablement choisis, la proportion du constituant majoritaire restant servant de variable d'ajustement.

  • Mathematically independent variables : les variations de la réponse sont modélisées à partir des variations du rapport des proportions des constituants préalablement choisis.

  • Categorized components - Mixture of mixture : les variations de la réponse sont modélisées à partir de la définition de constituants majeurs représentant des classes de constituants mineurs.



Les références de la publication à l'origine de cette classification sont les suivantes :

Piepel G.F., Cornell J.A., Mixture experiment approaches : examples, discussion
and recommendations, Journal of Quality Technology, 1994, Vol. 26, N°3, 177-196.


On associe à chacun des stratégies précédentes une forme spécifique de modélisation, comme les formes canoniques des modèles polynomiaux ou les modèles produits par exemple. En fonction du nombre de variables internes et/ou externes, on peut donc connaître à l'avance le nombre de paramètres et estimer et donc le nombre minimal d'expériences à réaliser. La nature des mélanges à mettre en oeuvre fera l'objet de méthodes de construction de plan d'expériences, basées sur des approches empiriques, algorithmiques ou géométriques, qui seront présentées à l'occasion de futurs articles dans ce blog.