mercredi 30 septembre 2015

Normes françaises et plans d'expériences

Lorsqu'on s'intéresse aux plans d'expériences, on finit tôt ou tard par découvrir qu'il existe des documents normatifs, le plus souvent sous forme de fascicules de documentation. Même si ces documents ne sont pas d'une grande utilité dans le domaine des plans de mélange qu'ils évoquent trop succinctement, ils méritent quelques commentaires pouvant inciter les lecteurs de ce blog à s'y reporter en cas de besoin sur les plans d'expériences en général.



X 06-080, Application de la statistique,
Plan d'expériences, Vocabulaire et indications générales, AFNOR, Ed. Paris, Novembre 1989, 25 pages.

Cette première référence commence à accuser son âge, mais représente sans doute le premier document de ce type publié en langue française. Les plans pour l'étude de mélanges occupent un court paragraphe dans la partie consacrée aux principaux types de plans d'expériences. Ce paragraphe renvoie exclusivement aux méthodes de maillage proposées par Henry Scheffé (Simplex Lattice Design et Simplex Centroid Design) et la présentation se limite donc à une stratégie de type Component Proportions. Il est précisé qu'il existe des plans d'expériences spécifiques lorsque la géométrie du domaine expérimental se traduit par un polyèdre convexe sous l'effet de contraintes explicites. La partie consacrée à la présentation des principaux types de modèles ignore hélas les différentes formes canoniques des modèles polynomiaux utiles ou encore les modèles synergiques sous-jacents à la construction des plans de mélange et à l'analyse des résultats expérimentaux.

Cependant, cette première norme permettait au lecteur de trouver des définitions pour les principaux termes usuels, complétées par des éléments de nature méthodologique à une époque où les livres en langue française consacrés aux plans d'expériences étaient peu nombreux. Les exemples, plutôt simplistes, se limitent à la construction d'un plan factoriel complet et d'un plan en carré latin. On pourra regretter qu'aucun exemple d'analyse et de restitution des résultats ne soit présenté.



FD X 06-081, Plan d'expériences,
Guide pour le choix d'un plan d'expériences, AFNOR, Ed. Paris, Juin 2003, 43 pages.

Apparu plus d'une dizaine d'année après la référence normative précédente, ce fascicule de documentation est une des conséquences du déploiement des formations consacrées aux plans d'expériences dans les entreprises et l'enseignement supérieur, au cours de la dernière décennie du XXe siècle. En raison du développement des logiciels dédiés offrant très souvent un catalogue important de plans d'expériences, il est apparu nécessaire de proposer aux utilisateurs un guide de choix.

Les plans de mélange occupent une place plus importante dans ce guide. Une typologie est proposée pour distinguer la géométrie du domaine expérimental en fonction des contraintes explicites qui affectent les variations des proportions des constituants.
  • Les plans de type I sont définis dans un simplexe de hauteur unitaire : aucune contrainte explicite ne vient limiter le domaine. Derrière ce type de plans, on retrouve les dispositifs proposés par Henry Scheffé de type Simplex Lattice Design et Simplex Centroid Design.
  • Les plans de type II sont définis dans un simplexe de hauteur réduite, mais de même orientation que le simplexe initial de hauteur unitaire. La conséquence de la définition de contraintes individuelles inférieures explicites autorise une adaptation des dispositifs associés aux plans de type I en utilisant une transformation en pseudo-constituants.
  • Les plans de type III sont associés à des études pour lesquelles les valeurs des contraintes individuelles inférieures et supérieures explicites génèrent un domaine expérimental sous forme de polyèdre convexe. C'est du moins ce que sous-entend la norme qui propose uniquement des méthodes de construction algorithmiques (D-Optimalité et G-Optimalité) pour la définition des plans de mélange dans ce contexte. On peut regretter que l'approche empirique, mais néanmoins efficace proposée par McLean et Anderson en 1966, ne soit pas évoquée et proposée, mais il est vrai que les logiciels n'intègrent pas cette approche dans leurs menus, préférant le recours aux plans dits optimaux.
  • Les plans de type IV correspondent à la stratégie appelée Slack Variable, pour laquelle un des constituants, majoritaire en proportion, sert de variable d'ajustement. La norme propose alors de construire le plan de mélange à partir d'un plan factoriel complet ou fractionnaire.
  • La norme présente enfin sous le nom de plans mixtes, les dispositifs expérimentaux permettant d'associer des variables internes et des variables externes, correspondant à la stratégie Mixture Process Variables. Il est suggéré d'utiliser la régression PLS pour l'analyse des résultats.

Des exemples, de nature plutôt académiques, permettent d'illustrer les différents paragraphes de ce fascicule de documentation. Des captures d'écran du logiciel Statgraphics complètent la présentation de ces exemples.


FD ISO/TR 12845, Illustrations choisies de plans d'expériences factoriels fractionnaires, AFNOR, Ed. Paris, Septembre 2010, 81 pages.
Ce fascicule de documentation est conséquent par son nombre de pages. Sa publication est liée au déploiement de la méthode dite Six Sigma dans les entreprises, méthode qui recommande dans sa démarche d'amélioration continue, l'application de plans factoriels fractionnaires à deux niveaux. On peut regretter que cette méthode ignore une typologie plus générale des plans d'expériences et que les problématiques de criblage (Screening Design) ne fassent référence qu'à des plans à deux niveaux.

Comme l'indique le titre de ce fascicule, le lecteur ne trouvera pas ici un document spécifiquement destiné à un public concerné par un problème de formulation. Toutefois, deux des six exemples présentés peuvent être intéressants à parcourir :
  • L'optimisation d'une émulsion de polymère associe cinq variables internes représentées par les proportions de cinq constituants à deux variables externes correspondant à une température et un temps d'alimentation. L'organisation de l'expérimentation fait appel à la définition de blocs dont l'origine est due à deux opérateurs et à deux types de réacteurs.
  • L'étude de formulations de mousse PVC se rapproche d'une stratégie de type Slack Variable en étudiant les effets de neuf constituants mineurs à l'aide d'un plan factoriel fractionnaire qui fait appel à seize combinaisons expérimentales distinctes, complétées par trois répétitions de la formule de référence.
Ce fascicule de documentation est résolument tourné vers des applications industrielles, illustrées parfois par la mise en œuvre d'un logiciel. Il représente une excellente source d'inspiration pour des formations universitaires ou en entreprises. On s'éloigne radicalement d'exemples trop "simplistes" et la prise en compte de plusieurs réponses traduit une réalité de terrain.


NF ISO 3534-3, Statistique - Vocabulaire et symboles - Partie 3 : Plans d'expériences, AFNOR, Ed. Paris, Juin 2013, 96 pages.
Dans la série ISO 3534, on trouve trois opus très riches en définitions, que ce soit dans le domaine des statistiques et des probabilités, dans le domaine de la statistique appliquée et dans le domaine des plans d'expériences.

La dernière version de la norme ISO 3534-3 est, à mon sens, très complète et la cohérence des différentes définitions est fortement appréciable. La mise en pages sur deux colonnes permet de juxtaposer la définition en langue française et la définition en langue anglaise. D'inspiration très agronomique (le "s" dans la locution "plan d'expérience" est absent dans la définition, mais présent dans le titre de la norme !), les définitions sont naturellement applicables dans de nombreux domaines.

Les plans pour l'étude de mélanges, encore appelés plans d'expériences avec mélanges font encore office de parent pauvre, puisque un seul et unique paragraphe de quinze lignes leur est consacré ! Et dans ce paragraphe, il convient de considérer une longue note tentant de résumer un exemple. Il faudra donc se contenter ici d'une définition, assez restrictive, indiquant que nous sommes en présence de plans d'expériences élaborés pour traiter la situation dans laquelle la somme des variables de prédiction est égale à une quantité fixée. Cela exclut donc d'une part bon nombre de stratégies autres que la stratégie de type Component Proportions et d'autre part, la possibilité de prendre en compte toutes les extensions de la matrice dexpériences, sous forme de produits par exemple, nécessaires dans les formes canoniques de degré supérieur à un.

Cette norme est suffisamment riche par ailleurs pour que l'on puisse pardonner aux auteurs quelques oublis ou inexactitudes dans le domaine des plans de mélange. Il s'agit là d'un véritable document de référence pour qui a besoin d'un dictionnaire cohérent et dans l'ensemble fort rigoureux de nombreux termes appliqués aux plans d'expériences.

En conclusion, on pourra regretter que le prix de vente de ces différents documents soit très élevé et dépasse largement celui de livres de référence, pourtant plus volumineux, dans bien des domaines d'application des plans d'expériences en général et des plans de mélange en particulier. Cela représente nécessairement un frein à la diffusion de tels documents, que ce soit en milieu universitaire ou en milieu industriel. On limite hélas ainsi, pour raisons économiques que l'on a du mal à percevoir de façon apparente, l'accès à la culture de la normalisation et à son riche patrimoine.